Night Songs and Candies

par Loïc Chahine · publié mercredi 30 novembre 2016 · ¶¶¶¶

Cette Nuit américaine est une invitation à sortir des sentiers battus : en faisant la part belle à des œuvres et à des compositeurs à peu près inconnus en France, le programme réuni par Leo Warynski couvre presque un siècle de musique nord américaine (des quatre motets d’Aaron Copland, datés de 1921, à Whispers de Steven Stucky, créée en 2002), en anglais et en latin, sans rien sacrifier à la continuité de l’ensemble. C’est que les compositeurs convoqués, si l’on excepte Morton Feldmann, ne s’illustrent pas tant par leur rapport à l’avant-garde que par leur lien constant avec la tradition. Ainsi, il ne faut sans doute pas chercher dans les quinze pièces de ce disque le renouvellement perpétuel et souvent déroutant qui a marqué une bonne partie de la musique du xxe siècle, mais plutôt des couleurs originales, en particulier harmoniques, inscrites dans un cadre qui, n’étaient ces couleurs, ferait volontiers penser tantôt aux chœurs romantiques (pour Barber ou Copland en particulier) ou, plus nettement encore, à la musique anglaise de la Renaissance (et l’O Magnum Mysterium de Morten Lauridsen évoque à nos oreilles certaines pièces de Thomas Tallis).

Pour autant, c’est bien de la musique du xxe siècle (et du début du xxie), marquée en particulier là par des effets quasi-cinématographiques, ici par un goût prononcé pour la dissonance et ses possibilités expressives. Si cette musique chorale américaine a quelque chose de sucré, conféré par son charme mélodique et son goût des formules répétées (la partie d’alto dans « Help us, o Lord » de Copland, par exemple, répète un bref motif, comme un ostinato), il y a aussi du crépuscule, et le titre de « Nuit américaine » n’est pas usurpé, renvoyant tantôt à ce que la nuit a de calme et d’apaisant, mais aussi d’inquiétant : le royaume de la nuit reste celui où de l’obscurité tout peut surgir (ce à quoi peut renvoyer, par exemple, Christian Wolf in Cambridge de Morton Feldman, sans doute). C’est dans les ambiances « calme[s] dans le demi-jour », dans la légère tristesse douce-amère, un peu mélancolique, avec Lux Aurumque d’Eric Whitacre et O Magnum Mysterium de Morten Lauridsen, comme enveloppés d’une lumière bleutée, ou encore dans l’inquiétante étrangeté qui s’installe progressivement, comme dans Whispers de Steven Stucky — c’est bien dans ces ambiances-là que les Métaboles réussissent le mieux.

Il faut, pour défendre cela, une technique impeccable de précision, afin que l’harmonie et la polyphonie soient claires, que les mélodies s’élancent avec netteté, mais aussi une couleur qui incarne cette douceur-amertume, un son assez timbré pour s’affirmer, mais fin pour n’être pas massif ; les Métaboles ont tout cela. Léo Warynski sculpte la matière de son chœur avec brio, instillant une dramaturgie discrète mais efficace aux œuvres. Les Métaboles excellent dans les nuances et la lecture semble, en fait, ne faire qu’un avec la musique elle-même. Ne cherchez pas d’effets spectaculaires, hollywoodiens — mais plutôt, dans la compréhension fine des partitions et dans la technique irréprochable mise au service des œuvres, goûtez-en les mystères.

Extraits

Steven Stucky, Whispers

Morten Lauridsen, O Magnum Mysterium

INFORMATIONS

Une nuit américaine

Steven Stucky, Whispers
Eric Whitacre, Lux Aurumque et Sleep
Aaron Copland, Quatre Motets
Samuel Barber, Agnus Dei, Reincarnations, Let Down the Bars, O Death et To Be Sung on Water
Morten Lauridsen, O Magnum Mysterium
Morton Feldman, Christian Wolff in Cambridge

Les Métaboles
Léo Warynski, dir.

1 CD, 60’43, NoMadMusic, 2016.

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