La richesse des bas-fonds

par Loïc Chahine · publié lundi 21 aout 2017 ·

Pour son premier disque, l’ensemble I Bassifondi s’est plongé dans le vaste répertoire du xviie siècle pour la guitare. Si le codex Saldívar, recueillant des pièces de Santiago de Murcia n’est pas totalement inconnu des amateurs de musique ancienne, non plus que le nom de Corbetta (qui fut professeur de guitare du Roi Soleil), bien des italiens demeurent encore dans l’ombre : qui connaît Valdembrini, Carbonchi, Bartolotti, Foscarini ? C’est à ce dernier que cet Alfabeto falso emprunte son titre.

L’alfabeto, dans le répertoire pour guitare baroque, est un système de notation des accords. À chaque lettre est associée un accord, ce qui accélère la notation et la lecture. Ainsi, au lieu d’écrire, en tablature :

(c’est-à-dire si, ré, sol, ré, sol) on peut simplement noter A. Il faut noter que ces lettres ne correspondent en rien à la notation anglo-saxone. A, par exemple, n’est pas l’accord de la (ni majeur, ni mineur), mais un accord de sol majeur ; B est do majeur, etc. À cet alphabet ordinaire, Foscarini ajoute un « alfabeto dissonante », où l’accord A+ est

c’est-à-dire si, ré, sol, ré, mi, soit un accord fort dissonant, en effet.

Si le répertoire est noté pour guitare seule, Simone Vallerotonda est ici rejoint par Josep Maria Marti Duran au colachon (colascione) basse et Gabriele Miracle aux percussions — percussions diverses et variées inspirées par « la tradition populaire avec sa profonde sagesse » : « tamis, bouteilles de verres, planches pour laver le linge »…

Comme le souligne Simone Vallerotonda, l’usage des percussions est « un thème délicat » ; en les introduisant ici, avec beaucoup d’art, d’ailleurs, I Bassifondi renvoie aux univers populaires, ceux des danseurs aussi — or, beaucoup de pièces sont originellement des danses, et la guitare n’est pas (encore) un instrument tout à fait noble, du moins dans les pièces retenues. Faut-il rappeler que, dans le codex Saldívar, Santiago de Murcia prescrit, pour au moins une pièce, l’usage du « golpe » ? Par ailleurs, loin de donner à la musique un tour « facile », l’ajout de percussions est ici si raffiné, si riche, si varié, qu’il enrichit et pourra même dérouter.

De fait, cet Alfabeto falso, où Simone Vallerotonda alterne trois instruments (la guitare baroque, la guitare « battente » et le théorbe), n’est pas un disque facile : au contraire, il est exigeant avec son auditeur — exigeant et fascinant de diversité, des pièces les plus délurées (Scaramanzie de Carbonchi) aux raffinements d’une Toccata cromatica d’Alessandro Piccinini. On redécouvre aussi le colachon, souvent confiné dans un rôle d’instrument grave mais assez burlesque : ici, il s’agit bien d’une basse, mais sans rien de comique, arborant une belle rondeur de timbre. Même dans les pièces enlevées, comme « Cumbées », Simone Vallerotonda développe un jeu non seulement alerte, mais aussi très fin dans sa manière de faire sonner même les accords répétés. Il y a chez les trois musiciens une attention constante au son, à ses résonances.

I Bassifondi promène l’auditeur dans un univers sonore bigarré et envoûtant, dans un disque inventif, délicat, fantasque, brûlant parfois, souvent poétique. Ces bas-fonds-là sont aussi raffinés que ceux du Caravage.

Extraits

Foscarini : Passacaglio per la O

Foscarini : Aria di Firenze

INFORMATIONS

Alfabeto falsto

Œuvres de Foscarini, Kapsberger, Carbonchi, Murcia, Valdambrini, Piccinini, Bartolotti et Corbetta.

I Bassifondi :
Simone Vallerotonda, théorbe, guitare baroque, guitare ”battente”
Josep Maria Marti Duran, colascione basse
Gabriele Miracle, percussions

1 CD, 50’03, Arcana, 2017.

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