Une paix douce, un repos paisible

par Jean Massard · publié vendredi 26 avril 2019 · ¶¶¶¶

Ce troisième disque que Damien Guillon et son Banquet Céleste consacrent à Bach réunit les cantates bwv 82 Ich habe genug et 169 « Gott soll allein mein Herze Haben » composées entre l’automne 1726 et l’hiver 1726-1727 à Leipzig. L’ensemble est à nouveau rejoint dans cet exercice par Maude Gratton à l’orgue, assurant le continuo et gravant trois arrangements du choral Allein Gott in der Höh sei Ehr BWV bwv 662 à 664 et le Prélude et fugue en la mineur bwv 543 qui remonte à la période de Weimar.

L’introduction instrumentale de la bwv 82 impose l’atmosphère qui entoure cet album. La direction de Damien Guillon imprime une inexorable horizontalité, une progression obsessionnelle qui soutient et irrigue tout le mouvement. Chaque phrase y est articulée, comme un poème que l’on dirait strophe par strophe pour en déployer le sens. La douce matière de l’ensemble, en retrait comme un fond marqué d’humilité, offre pourtant une matrice lancinante d’où s’échappent par instants les brillances des violons. Les cordes se font plus vocales dans le second mouvement, « Schlummert ein, ihr matten Augen » (« Endormez-vous, yeux las »), gagnant un équilibre étonnant jusqu’au point où elles laissent l’auditeur en intimité avec chacun des instruments, en autant de lignes lisibles autour du chanteur. Le continuo confié au grand orgue pose des fondations massives, et mesure le tout, se faisant respiration profonde et calme. Les récitatifs ne perdent d’ailleurs rien de leur désir de recueillement, marqués par cette puissance.

Pourtant soliste, le hautbois de Patrick Beaugiraud ne survole pas la masse des cordes. Au contraire, il se fond dans l’ensemble, il le nappe en une souple caresse. Et quand la voix chaude de Damien Guillon lui répond dans la même dynamique enveloppante, c’est un dialogue qui se met en place avec une vocalité semblable : le hautbois devient l’alter-ego du contre-ténor. Cet instrument bicéphale nous engloutit alors dans un renoncement paisible au monde, et pourtant incarné avec grande force.

Le livret qui accompagne le disque donne quelques intéressantes pistes d’écoute concernant les pièces d’orgue, dont l’esthétique luthérienne peut sembler de premier abord assez monolithique. L’oreille s’habitue à la construction organique de ces variations sur des chorals pour en apprécier ensuite le génie de l’écriture. La délicatesse du jeu de Maude Gratton s’entend dans l’articulation des phrases du début du choral bwv 663, sur lequel on semble glisser. Ample, fluide, l’orgue sonne ici majestueux de par la variété des jeux utilisés dans le prélude et fugue bwv 543 et dans le choral bwv 663. Les envoûtantes combinaisons alchimiques du choral bwv 662 appellent à une perte dans l’écoute et créent un moment de méditation hors du temps.

Ainsi, Maude Gratton, Damien Guillon et les autres musiciens sont ici chez eux. Rendus libres par leur assurance, eux aussi « ont assez » (« habe[n] genug ») et avancent en paix. Pourrait en témoigner la Sinfonia de la cantate bwv 169 réunissant l’articulation doucement fière et virtuose de l’organiste, la liberté presque dansante du hautbois d’amour, et les cordes comme un lien entre les deux, sous le regard éclairé de Damien Guillon dans un rôle de chef d’orchestre qu’il semble prendre avec de plus en plus de pertinence.

INFORMATIONS

Bach : Cantates BWV 169 & 82

Le Banque Céleste
Maude Gratton, orgue
Damien Guillon, contre-ténor et dir. Maude Gratton, orgue Le Banquet Céleste

74’07, Alpha, 2019.

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