Vivaldi bien ordonné

par Loïc Chahine · publié mercredi 4 novembre 2015 · ¶¶¶¶

Vivaldi est souvent sujet d’âpres discussions — non pas tant Vivaldi en lui-même ou sa musique, d’ailleurs, que l’essor qu’elle a connu ses dernières années, l’usage qu’en font certains ensembles… Je fais partie de ceux qui estiment que faire une intégrale de l’œuvre de Vivaldi au disque était une erreur, qu’il faut reconnaître que chez lui comme chez d’autres, certaines pages sont de moindre intérêt, et qu’en particulier du côté des opéras, il y a beaucoup de redites (parfois à la lettre). Si l’on ajoute que pour certains « mélomanes », Vivaldi est devenu l’archétype du baroque et que la moindre aria da capo agrémentée de vocalises déferlantes ou le moindre concerto pour violon à la virtuosité non moins vaine déclenche l’hystérie, on aura compris que la Vivaldi-mania engendre un certain agacement. Et cet agacement et cette omniprésence ont fini par générer un dégoût.

Il est certain que nous aurions pu, pour ces raisons, passer à côté du présent disque. Mais nous apprécions le travail d’Hervé Niquet et nous nous doutions bien que s’il s’aventurait sur ces terres-là, ce n’était certainement pas pour y faire n’importe quoi. Le chef et son Concert Spirituel avaient sans doute quelque chose à y dire, et quelque chose que, peut-être, on ne trouverait pas ailleurs — ce quelque chose, à défaut de nous réconcilier entièrement avec Vivaldi, parviendrait peut-être à nous le faire apprécier, ce qui n’était plus arrivé depuis de longues années. Pari réussi. Le sevrage total que nous avons pratiqué auparavant nous a permis d’entrer dans ce disque avec sérénité, les qualités de la lecture musicale nous en ont fait sortir avec ravissement et avec l’assurance que le CD ne servirait pas qu’une seule fois.

Les œuvres ne sont pas des raretés — et surtout le Gloria RV 589 qui fait certainement partie des pages les plus célèbres de Vivaldi. Le Magnificat n’est pas non plus absent de la discographie. En les réécoutant ici, on comprend bien pourquoi, et l’on se rappelle que c’est sans doute du côté de la musique sacrée que celui qu’on surnomme le Prêtre roux donne le meilleur de son art. On dit souvent qu’il y regarde volontiers vers le monde profane ; en réalité, il se situe plutôt dans un compromis, disons dans un sacré paré de quelques séductions mondaines.

Le choix qu’a fait Hervé Niquet de ne rien confier à des solistes, de tout faire chanter par le chœur, comme cela pouvait se pratiquer, selon lui, aux xviie et xviiie siècles, évite justement toute tentation de briller, tout égocentrisme dans les passages qui sont ordinairement des solos. Il y a indubitablement, avec cette option qui s’avère ici d’une rare pertinence, quelque chose de plus modeste, de plus réservé, et de plus délicat aussi.

Cela n’empêche pas, au demeurant que la lecture soit nerveuse et doté d’un certain sens du drame, mais cela ne confine jamais ni à l’histrionisme, ni à la précipitation, deux défauts que l’on entend trop souvent ailleurs. Qu’on est loin du tzim-boum crypto-électro-pop auquel les lectures vivaldiennes sont souvent confinées ! Ici, les dynamiques — crescendo et diminuendo — sont raisonnables, et point outrés. L’orchestre, et en particulier le continuo, est remarquable, en ce qu’il ne vrombit pas inconsidérément mais qu’il apporte tout de même une stabilité et une vraie pulsation, sans qu’elle soit insistante. Le chœur est riche et rond, l’articulation étonnante de justesse. Hervé Niquet ne lambine pas — on pouvait s’y attendre —, sa lecture est dynamique, mais il ne confond pas vitesse et urgence : il y a ici une théâtralité qui sait qu’elle fonctionnera et qui dès lors n’a pas besoin d’appuyer ses effets.

Ajoutons encore que l’ensemble est d’une admirable clarté, et que rarement on aura si bien entendu la construction, le soin porté à l’écriture. On apprécie particulièrement l’équilibre entre les voix et les intruments. Il y a de plus une indéniable beauté des timbres — le son du Concert Spirituel est une chose dont on peut se délecter.

Voici un disque qui apporte du plaisir sans faire de concessions aux vices du temps. Avec Hervé Niquet, avec le Concert Spirituel, on s’attendait à ce qu’il soit bien : ce n’est donc pas vraiment une surprise. Mais, avouons-le tout de même : on ne s’attendait pas à ce que ce soit aussi bien. C’est assurément une lecture aussi intéressante qu’attachante et réjouissante, qui dépouille le Prêtre roux d’excès auxquels on l’a livré et qui l’ont desservi : quoi de mieux pour revenir à Vivaldi ? Domine, veni et vide (Jean, 11, 34), « Seigneur, venez et voyez » — enfin, écoutez, surtout.

Extraits

Gloria : Domine Deus

Gloria : Qui tollis peccata mundi

INFORMATIONS

Antonio Vivaldi : Gloria, Magnificat

Gloria RV 589
Laetatus sum RV 607
Magnificat RV 610a
Lauda Jerusalem RV 809

Le Concert Spirituel
Hervé Niquet, dir.

1 CD, 50’31, Alpha (Outhere Music), 2015. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

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