Les mélodies chantantes de M. Weiss, flûtiste

par Loïc Chahine · publié mardi 9 aout 2016 · ¶¶¶

Quand on musique on parle de Weiss, on pense bien sûr au luthiste Sylvius Leopold qui fut l’exact contemporain de Bach. Il y en eu en fait plusieurs autres, dont un flûtiste : Jean Gaspard Weiss voyage d’abord, rencontre Grétry à Rome et à Genève, joue dans l’orchestre des Professional Concerts de Londres, où il côtoie, par exemple, Jean-Louis Duport et Friedrich Hartmann Graf… En 1783, il prend une décision surprenante : il quitte l’orchestre londonien pour s’installer à Mulhouse où il était né, et investit sa fortune dans l’industrie textile. Comme l’écrit Tobias Bonz dans la note d’accompagnement du disque, « il n’était donc pas dépendant financièrement de ses activités de flûtiste ou des largesses d’un mécène, ce qui lui permit d’échapper à l’indigence des vieux jours qui était alors le lot de la plupart des musiciens âgés. »

Bien oublié aujourd’hui, il fut salué en son temps comme un très grand flûtiste ; ainsi, Christian Friedrich Schubart note en 1774 que « son intonation est la plus pure et la plus naturelle qui soit », que « l’on n’entend pas ce didli didli disgracieux ou ce diri diri si caractéristique de l’école de flûte de Quantz ; avec lui, au contraire on a le son naturel de la flûte, inspiré par le souffle vivant du génie ». Les propos de Schubart sont d’autant plus intéressants qu’ils marquent un changement d’époque tout en nous invitant à nous interroger sur certaines pratiques : en critiquant « l’école de Quantz » et son mode d’articulation, ce témoignage nous rappelle qu’il a existé d’autres façons de jouer, alors même qu’aujourd’hui l’on considère généralement, au moins pour ce qui concerne la technique de l’instrument, le monumental Versuch einer Anweisung die Flöte traversiere zu spielen de Quantz comme une base sûre, étant l’un des traités les plus complets et les plus ambitieux du xviiie siècle pour la flûte. Le témoignage de Schubart nous rappelle donc que ce n’est pas la seule manière de jouer qui avait court, et qu’il faut peut-être chercher, dans l’esthétique de Weiss, moins de clarté rhétorique et plus de sentiment.

Sa musique, dans l’ensemble, est tout à fait représentative d’un style galant et classique cherchant plutôt la simplicité et la lisibilité que la sophistication : Weiss ainsi dans son Autobiographie « qu’en Angleterre, on prisait fort peut les cabrioles et autres tours de passe-passe musicaux » (c’est-à-dire la virtuosité pure) « et qu’un maître de musique ne peut connaître la popularité qu’à travers l’harmonie pure, les mélodies chantantes et une expressivité sentimentale tant dans la composition que dans l’interprétation ». La virtuosité, toutefois, n’est pas absente de la musique de Weiss, et le flûtiste demeure soucieux de montrer (un peu) ce qu’il sait faire, sans jamais pour autant sombrer dans la vanité. La musique fait volontiers penser, en fait, à celles de ses comparses londoniens, Abel et Johann Christian Bach.

Il faut mettre à part les préludes pour flûte seul, d’un charme et d’une expressivité admirables, comme de petites réflexions que le compositeur aurait notées, œuvres tardives en fait, qui ne sont publiés qu’à titres posthumes en 1816. Trois de ces préludes sont ici enregistrés, dont deux confiés au violoncelle.

De ces œuvres, l’ensemble Antichi Strumenti donne une lecture affable, aux intentions toujours claire, sans chichis, contrastée mais sans affectation.

On apprécie tout particulièrement la prestation du flûtiste François Nicolet, exemplaire en tous points : le son est d’une grande beauté, plein, égal ; le phrasé tout en netteté et en équilibre classique. Son Solo en mineur au début du disque est assurément un sommet, et l’on aurait volontiers repris quelques solos supplémentaires de sa part. Dans les sonates comme dans les trios et le quatuor, comme l’exige Weiss dans ses écrits, la virtuosité n’est jamais ici une fin en soi, et c’est avant tout la mélodie et les contours sentimentaux qui sont exaltés.

Du côté des collègues du flûtistes, on demeure un peu plus réservé. Ainsi, on peut regretter que le violon de Laura Toffetti, dont la qualité est manifeste dans le prélude pour le flûte et violon, reste assez souvent en retrait et ne s’affirme pas davantage dans les autres pièces ; on admire en revanche l’exemplaire fusion qui l’unit à l’alto de Claudia Monti dans le quatuor op. 4 no 4. Le continuo est honnêtement joué mais manque parfois un peu d’inspiration, de générosité — alors même que certains mouvements, justement, semblent bien inspirés, comme l’Adagio de la sonate en sol majeur op. 3 no 6 où la réalisation est en légers arpèges de clavecin du meilleur effet.

Dans l’ensemble, cette anthologie d’œuvres de Weiss demeure un bon disque, très agréable ; c’est là de la musique aimable, plus qu’aimablement joué, et il se dégage à l’écoute un sentiment de calme, d’apaisement auquel l’absence d’effet appuyé n’est pas étrangère. Bref, voilà un bon disque « de flûte » (historiquement informée) qui s’écoute avec plaisir, et ils ne sont finalement pas si nombreux.

Extraits

Solo 6 en mineur

Quartetto for a Flute, Violin, Tenor and Bass, I, Allegro

INFORMATIONS

Jean Gaspard Weiss, Töne von meiner Flöten : sonates, trios et quatuor

Solos nos 5, 6 et 15
Prélude pour flûte et violon no 5.
Sonates pour flûte et basse continue op. 3 nos 5 et 6.
Trios pour flûte, violon et basse op. 1 no 4 et op. 2 no 6.
Quatuor pour flûte, violon, alto et basse op. 4 no 4.

François Nicolet, flûte traversière
Laura Toffetti, violon
Claudia Monti, alto
Tobias Bonz, violoncelle
Francis Jacob, clavecin.

1 CD, 69’39, Stradivarius, 2012.

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