Grenouilles, à mon sens, ne résonnaient pas mal

par Loïc Chahine · publié jeudi 4 février 2016

Il était attendu qu’un ensemble s’appelant Les Esprits Animaux pourrait proposer quelque chose sur… les animaux. Ce qui l’était moins, c’était que le programme fût centré sur un concerto anonyme. Notre époque n’aime pas les œuvres anonymes. Il faut un auteur ; il faut un responsable ; il faut créditer. Et pourtant, ce concerto Clamore gallinarum (« La clameur, le bruit des poules », et non « le chant du coq » comme traduit dans le programme) est bien, comme le signale par présentation, « une œuvre […] pleine d’humour, d’imagination et d’une grande qualité de composition ». Intégrant l’imitation des poules, ou du moins ce qu’il est convenu de considérer comme une imitation musicale des poules, avec force notes répétées et quelque chose d’un peu agressif, à des motifs plus proprement musicaux (bariolages, chromatismes), ce concerto plaît autant qu’il amuse. L’ensemble Les Esprits Animaux y fait montre d’une réelle osmose, magnifiée par le violon superbe de Tomoe Baviarova, brillant et engagé sans être insolent, nuancé dans l’Adagio initial.

La même entente règne dans la Sonata representativa de Biber, ici arrangée en quatuor (deux violons, alto et basse continue), aimablement variée. Les Esprits Animaux, tout en mettant l’accent sur l’humour des imitations, proposent dans les passages non imitatifs une sagesse, une modération, une douceur même que l’on est, hélas, guère habitués à trouver dans les interprétations de Biber. L’Allemande finale, qui peut paraîtra plate après tous les reliefs qui l’ont précédé, était ici tout à fait délicieuse de délicatesse.

Avant d’en arriver là, il aura fallu un petit temps de chauffe. Le programme s’ouvrait sur le premier mouvement du concerto TWV 51:A4 Die Relinge (Les Grenouilles) de Telemann, concerto qui est une grande réussite du compositeur, avec son espèce de cadence en bariolage où ce n’est pas seulement le soliste, mais tout l’ensemble qui fait cadence à coup de bariolages sur deux cordes mais une seule note (à vide et sur la corde d’à côté), de demi-ton, etc. L’effet était réussi, et on louera également la lisibilité de la polyphonie dont Les Esprits Animaux nous ont éclairé. Toutefois, le soliste, ici Javier Lupiáñez, n’a pas pleinement convaincu à cause d’une justesse parfois approximative. Temps d’adaptation au lieu, peut-être?

Ajout après le concert du jeudi 4. Aujourd’hui, la partie soliste de Javier Lupiáñez dans ce concerto était mieux tenue, et l’ensemble plus vigoureux. Il semble donc bien qu’un petit temps d’adaptation ait été nécessaire !

Il en va exactement à l’inverse du concerto RV 428 Il Gardellino (le Chardonneret) de Vivaldi. Ici, la flûte d’Élodie Virot est élégante, distinguée, mais la musique peu séduisante. Vivaldi se répète, et le voisinage avec le grand Telemann ne lui profite guère, tant il met en valeur le caractère limité de son inventivité et de ses capacités de développement, ou plutôt de ses volontés de développement — car ailleurs Vivaldi a fait bien mieux. Certes, ce concerto est mignon, mais l’on conviendra qu’imiter le chant de l’oiseau par la flûte est assez convenu, alors que tenter de représenter les grenouilles par des violons est pour le moins audacieux.

À ce propos, on se demande bien où ces Allemands, Telemann et Biber, ont entendu des grenouilles, car aussi bien dans la Sonata representativa que dans le concerto, l’imitation est peu ressemblante. N’importe ! elle est originale. On vient, après tout, pour entendre Biber et Telemann, pas des grenouilles.

Les Esprits Animaux, en proposant un programme bien construit, suffisamment varié et divertissant, joué avec finesse, ont ouvert notre Folle Journée 2016 avec beaucoup d’agrément. Gageons que ceux qui tenteront de les écouter lors d’un prochain concert — ils en donnent encore plusieurs pendant l’évènement — ne seront pas déçus, et espérons que le Clamore Gallinarum aura prochainement les honneurs du disque.

INFORMATIONS

Concert du mercredi 3 février 2016, 15h30.

Les Esprits animaux donneront à nouveau ce programme dans le cadre de la Folle Journée de Nantes jeudi 4 février à 14h15 (052), vendredi 5 à 14h15 (118) et samedi 6 à 16h (225).

La photographie illustrant cette article est de Brice Robert et a été prise sur cette page. La gravure est tirée de l’Histoire naturelle des quadrupèdes ovipares et des serpents.

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