Splendeurs et mystères d’un luthiste inattendu

par Wissâm Feuillet · publié mercredi 30 mai 2018 ·

Entre le répertoire de luth baroque français du premier xviie siècle, auquel une oreille peu sensible peut ne rien comprendre et s’ennuyer, et le répertoire de luth baroque allemand du XVIIIe siècle, dont le cantabile galant sent déjà un peu son classicisme, il est une sorte d’heureux compromis, révélé par le label Musique en Wallonie sous les doigts d’Evangelina Moscardi : le luthiste belge Laurent de Saint-Luc, dont le style, qui tient à la fois de Robert de Visée et de Sylvius Leopold Weiss, semble faire la synthèse entre les plus belles qualités de ces deux monuments de l’histoire du luth et de ces deux esthétiques. Ce compositeur avait déjà été présent au disque une première fois sous le nom de Jacques de Saint-Luc, enregistré par Stephen Stubbs en 1997, déjà publié par Musique en Wallonie, et les recherches récentes ont permis d’aboutir à la conclusion que la musique attribuée à ce certain Jacques n’était autre que celle de Laurent, son cadet. Ainsi le présent enregistrement n’est-il pas le premier, mais le deuxième consacré au compositeur, et il est heureux que quelqu’un se soit à nouveau penché sur ce superbe répertoire dont il nous est maintenant difficile de nous passer.

En effet, après un beau disque en binôme avec Monica Pustilnik, consacré aux pièces de théorbe de Castaldi (Arcana) et un opus solo consacré à Bach et Weiss, la luthiste italienne Evangelina Mascardi signe un enregistrement captivant avec ces pièces de luth servies par une intelligence musicale rare : dès la chaconne initiale, son toucher, ferme et franc, ne laissant aucune note en retrait, assume aussi une grande douceur. Ce sens du contraste traverse ensuite tout l’enregistrement : les pièces d’inspiration militaire (à l’exception de l’allemande « La prise de Barcelone ») et l’« Ouverture » en sol mineur, notamment, sonnent avec puissance et clarté, faisant entendre parfois des imitations de clairon tonitruantes qu’on n’aurait pas osé confier à un luth, tandis que les sarabandes, « La prise de Barcelone » et la longue chaconne en la majeur, sont d’une douceur éloquente et rappellent à certains égards les pièces de Gaultier ou de Dufaut…

Fin mélodiste, un peu comme Robert de Visée, Saint-Luc fait cependant le choix d’un accompagnement simple et clair, au service de la mélodie (c’est peut-être en cela qu’il tend vers Weiss et les luthistes allemands), et Evangelina Moscardi excelle dans sa façon de trouver l’équilibre entre mélodie et basse, avec une élégance quasi déclamatoire qui entend bien faire chanter ces pages, faire entendre ce qu’elles ont de sensible, sans emphase cependant. En ce sens, l’articulation, d’une belle lisibilité, sublimée par une captation de près, souligne l’éloquence du jeu ; toutefois, le risque d’une telle captation est qu’elle fait aussi entendre des bruits que d’aucuns nommeraient « parasites » (respirations, adhésions des doigts sur la corde, accroche de la corde…). Précisions enfin qu’un soin tout particulier a été accordé à l’ornementation, l’une des belles réussites de ce disque : on sent l’ornement toujours fermement accroché à la ligne, dans sa continuité, et non en rupture avec elle, surajouté (c’est le cas dans les deux sarabandes en sol mineur, par exemple).

En somme, qui aurait eu du mal à se mettre au luth, découragé par son répertoire, pourrait trouver dans ces pièces de Saint-Luc un bon moyen de se réconcilier avec l’instrument ! C’est un de ces disques que l’on ne range pas immédiatement dans sa bibliothèque après l’avoir acheté.

Extraits

Chaconne en ut majeur

La Prise de Barcelone, Allemande

INFORMATIONS

Laurent de Saint-Luc : Pièces de luth

Evangelina Mascardi, luth baroque

1 CD, Musique en Wallonie, 2018.

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